"Votre appel se répète. Mais sous l'azur limpide ou pendant la tempête, Doux murmure expirant sur la grève (...)" [Dierx]
Jour 6 : 31/12/2018
"Flots qui portiez la vie au seuil obscur des temps,
Qui la roulez toujours en embryons flottants
Dans le flux et reflux du primitif servage,
Éternels escadrons cabrés sur un rivage
Ou contre un roc, l'écume au poitrail, flots des mers,
Que vos bruits et leur rythme immortel me sont chers !"
[Extrait de "Flots des Mers", Léon Dierx]
Dernier jour de l'année 2018 et un programme chargé. Nous n'avons pas fait long feu la veille au soir, après la tarte chouchous/sarcives, mais le sommeil réparateur n'a pas gommé toutes les petites lourdeurs musculaires. Nous repartons vers l'Est, pour 2 jours à thématique volcanique entrecoupés d'un réveillon balnéaire. Le premier arrêt est ressourçant : une petite baignade dans les eaux turquoise de Bassin Bleu, que seule une digue de pierre sépare de l'océan, ce qui donne l'impression d'une très grande piscine à débordement. L'endroit est prisé des locaux mais l'espace est suffisant pour être tranquille, et la fraîcheur de l'eau est bienvenue par les 30 degrés bien tapés qui sévissent déjà. Nous faisons un crochet vers la plage de galets avant de retourner à la voiture, mais la côte n'a pas encore la majesté de ce que nous allions voir par la suite.
Nous improvisons une visite rapide à l'église de Ste Anne, dont la façade ciselée évoque un gros gâteau glacé, mais toujours revêtue avec sobriété à l'intérieur.
Une église en suit une autre, la prochaine pause se fait à Ste Rose et son édifice religieux, rendu célèbre par le fait qu'une coulée de lave se soit arrêtée à sa porte en 1977. Petite anecdote qui est non sans rappeler celle du Granier, dont l'éboulement du XIIIè siècle avait épargné Notre Dame de Myans. Le bâtiment en lui-même n'est pas exceptionnel, si l'on excepte une grande peinture murale représentant le "miracle" de 1977, et la pierre noire qui le cerne de part en part. Un recueil d'articles de journaux présente au visiteur les faits de cette coulée atypique et dévastatrice, la 1ère à avoir eu lieu hors de l'Enclos. Sur le moment, n'ayant pas encore vu ce dernier, je n'avais pas la pleine mesure de ce qu'il était. Je lis avec attention les divers témoignages et découvre les photos de flammes et de lave dévorante, qui évoquent des scènes de films.
Nous continuons vers le petit port de Ste Rose, où les bateaux de plaisance sont amarrés à l'abri de grands blocs de béton noirs et protégés par des canons séculaires d'envahisseurs depuis longtemps disparus. On commence à distinguer les falaises obsidiennes, surplombées d'arbres émeraude. Nous longeons quelques minutes la côte à pied, espérant en avoir un meilleur aperçu à travers quelques trouées.
Il est déjà l'heure de manger ou presque, et après un 1er essai infructueux en boulangerie, nous dégottons un snack dans lequel nous prenons des américains (bouchons pour moi :)), que nous dégustons à La Cayenne, nouvel endroit de rêve que je dois à ma guide locale. Nous avons la chance d'avoir presque pour nous seules ce lieu paradisiaque, où l'herbe parsemée de vacoas semble se jeter dans le grand bleu. La vue sur le mélange de couleurs si caractéristique de ce littoral est extraordinaire : vert végétal, bleu et blanc océans, noir basaltique. Le chant du vent mêlé à celui de quelques oiseaux, le bruit du ressac et quelques paille-en-queue qui virevoltent complètent le tableau. Tout est propice à la réflexion et aux échanges entre amies.
Nous aurions pu rester là bien plus longtemps, mais après la pause photos, il nous faut remonter à regret vers la voiture pour tenir notre programme avant le réveillon. Mais j'étais loin de me douter que la journée allait monter crescendo en termes d'émerveillement... La route serpente entre deux murs de végétation grasse et tropicale, avant de brusquement déboucher sur une zone beaucoup plus rocailleuse.
2 clichés de l'Enclos aperçu de loin depuis la route
Nous voici dans l'Enclos, pente sinistrée fermée de deux grands remparts, dans laquelle se déverse le magma issu du Piton de la Fournaise. Le temps dégagé permet d'obersver parfaitement les coulées qui zèbrent l'Enclos. La route coupe à travers certaines de ces coulées (la réciproque a été fréquemment vraie également) qui continuent jusqu'à l'océan. Noir sur bleu, gris d'orage, vert de quelques mousses et fougères qui commencent à reprendre leurs droits sur les plus anciennes éruptions. Nous marchons sur les pierres volcaniques, sombres et légères, jusqu'au point de vue.
Je suis saisie par ce paysage, et n'en attends que plus impatiemment de découvrir le cratère, qui pour l'instant se cache tout là-haut. En attendant, la mise en bouche se poursuit avec le parcours découverte du Puits Arabe (attention le panneau indicateur se manque facilement! Il faut le veiller sur la gauche...), qui consiste en une marche d'une petite heure sur une coulée de lave, ponctuée de panneaux explicatifs. Là encore, le cadre est à couper le souffle. Les falaises de basalte sur lesquelles se jette l'eau rugissante en un camaïeu d'azur, de turquoise, de marine et d'écume, sont notre point de départ. Il faut dire que le contentieux est ancien, puisque les millions de mètres cubes de magma ont ravi à l'océan quelques hectares en 1986, terrain que ce dernier s'efforce de regagner...
Les premières explications concernent la lave pahoehoe, dont nous foulons les motifs cordés :
La roche solide laisse place au sable noir après quelques marches en descente, et à des galets pas encore complètement érodés. Les empilements de ces derniers, réalisés de main d'Hommes qui nous ont précédées, et qui comme nous, étaient de passage, confèrent une atmosphère particulière à cet endroit:
Le soleil est toujours brûlant, et le chemin assez peu ombragé à l'exception d'un passage sous les vacoas et filaos, qui saupoudrent d'aiguilles les motifs torsadés de la roche volcanique.
Nous parcourons ensuite une rivière de lave, effondrée par endroits, et qui fut autrefois un torrent en fusion. Là aussi, des fougères et des arbustes percent directement à travers le sol à nu :
Nous nous mettons à genoux pour passer sous un tunnel de lave, qui débouche sur une cascade faite du même matériau. Candice ose la descendre, je ferai personnellement preuve de moins de courage en retournant suivre le sentier pour la rejoindre sous le bosquet de filaos.
Nous perdons les balises à peu près à ce moment là, ce qui nous vaut quelques allers/retours sur la falaise, à peiner dans le sable noir pour nous rendre compte que, d'un côté ou de l'autre, des escarpements nous bouchaient le passage. C'est en explorant ce coin que nous voyons se profiler sur l'océan des nuages qui annoncent un rafraîchissement à court terme...
Coupant court à l'idée de retrouver le balisage, nous escaladons la cascade de lave pour rentrer, suivies par un couple de touristes qui a l'air aussi perdu que nous, mais déjà les gouttes se mettent à tomber... Le retour se fera en courant sous des trombes d'eau, qui me rappellent fortement les averses tropicales de la Guyane. Petite course qui aura le mérite de terminer d'évacuer l'acide lactique qu'il restait de Mafate, et grosse pluie qui rend supportable les 35°C de l'après-midi. Trempées de la tête aux pieds, nous attendons que le temps se calme un peu sous un kiosque (j'y arrive avant Candice, qui m'a laissée partir devant pour "protéger" portefeuilles et papiers dans le sac que je portais ^^") avant d'aller enfiler maillots de bain et paréos à la voiture. Avec tout cela et la fatigue, nous décidons de sauter l'étape "Langevin" et de nous rendre directement sur notre lieu de réveillon, à St Pierre chez Chloé et Kévin. Candice trouve aussi important qu'il me reste des choses à découvrir, pour me faire revenir ;)
Si les averses nous suivent un moment, le soleil nous attend dans la ville balnéaire. Une petite Dodo, une bonne douche, et c'est parti pour la dernière soirée de l'année 2018, avec la préparation des divers petits fours à base de la pâte feuilletée ultra chère de l'île. Nous commençons l'apéro à proprement parler vers 19h, et finirons très tard (ou tôt, selon le point de vue). Après le foie gras/champagne et une partie de Galerapagos, nous nous rendons sur le front de mer très animé et tout autant peuplé. Les gens finissent de pique-niquer (mais à la créole, ce qui sous-entend un équipement qui pourrait servir à 1 mois de camping sédentaire : tables recouvertes d'une armée de marmites et casseroles, chaises, marabouts, ... font faire pâle figure à notre petite glacière qui contient nos boissons) tandis que de nombreux DJ tout aussi bien équipés permettent de danser à intervalles réguliers. L'ambiance est populaire, je n'ai jamais vu autant de monde rassemblé de manière informelle pour fêter la nouvelle année. Le feu d'artifice de la ville, que nous admirons depuis la plage, dure 1/2h et est somptueux. Nous regrettons juste que chacun y aille de son pétard à proximité, ce qui fait que nous nous retrouvons avec des braises dans les yeux par moments. Après cela et les traditionnels bisous de bonne santé et meilleurs voeux, nous enchaînons en dansant à divers endroits, puis par une petite baignade dans les eaux noires et calmes du lagon, et à nouveau de la danse jusqu'à ce que le bleu du ciel s'éclaircisse sur la ligne d'horizon puis vire à l'orangé. Le jour me surprend, je n'ai pas vu passer le temps... Le soleil monte dans le ciel lorsque nous rejoignons l'appartement pour terminer les feuilletés aux saucisses, déguster un muffin et finalement nous installer pour dormir un peu, épuisés mais avec la sensation d'avoir fêté dignement ce nouvel an.
Un réveillon d'exception, encore un souvenir que je grave dans ma mémoire, cette chaleur humaine, cette ferveur populaire, ce bain sous les étoiles et ces feux qui ont illuminé le ciel...